J'ai été violée
- faitestomberleviol
- 27 nov. 2015
- 6 min de lecture
C'était il y a 12 ans, j'avais 21 ans et j'étais un peu perdue. Ma maman était très malade, atteinte d'une tumeur au cerveau, elle décédera 1 an plus tard. Ma famille souffrait, j'avais déjà quitté la maison pour mes études et c'était difficile de ne pas être à leurs côtés Je venais de rencontrer mon petit copain mais il devait s'absenter la semaine pour son travail et je me sentais très seule. J'avais l'impression que mes copines de la fac ne me comprenaient pas, je cherchais à côtoyer des adultes. C'est comme cela que j'ai connu celui qui allait me violer quelques mois plus tard. Il faisait partie de mon groupe "d'amis plus âgés"...avec le recul je dirais que la plupart de ces gens étaient malsains, et moi certainement trop naïve. Un soir, après avoir passé le début de la soirée dans un restaurant où nous avions nos habitudes, le groupe décide d'aller danser en boîte de nuit. Nous faisons 2 voitures, je monte avec 2 "amis", dont l'un d'eux, mon violeur, dit qu'il doit passer chez lui pour se changer avant de sortir. Finalement, ils décident de rester dans l'appartement, nous discutons un bon moment, j'ai tellement confiance que rien ne m'alerte jusqu'au moment où l'autre personne dit qu'il va s'absenter pour aller à l'épicerie de nuit. Il ne reviendra pas. Au bout de 5 minutes je dis que je vais partir. Et là je me retrouve rapidement coincée contre le mur où je prends un coup de tête. Mon nez explose et je perds connaissance. Mon violeur me traîne par les pieds jusqu'au milieu de la pièce, je suis "groggy", incapable de résister, mais je commence quand même à crier, à appeler au secours. Je prend alors de grandes claques dans la figure, des coups de pieds et de poings pour me faire taire. La nuit va être très longue, tout mon esprit est tendu vers le seul but de me sortir de là vivante. Il faut que je réfléchisse vite, que je prenne les bonnes décisions. Encore sonnée par les coups, je tente de négocier, ce qui accroît la fureur de mon agresseur qui me frappe à nouveau et me mord le sexe, met ses doigts à l'intérieur de moi. Je tente de me relever, il projette ma tête contre le montant de la mezzanine. Il m'enlève mes lunettes et les jette dans un coin de la pièce, je suis terrorisée car je ne vois plus rien. Je lui parle alors de sa fille, qui a le même âge que moi, je lui dis qu'il ne peut pas trahir ma confiance, que c'est trop grave, qu'il peut encore me laisser partir... Alors qu'il semble fléchir un peu, je prétexte l'envie d'aller aux toilettes, qui sont situées près de la porte de l'appartement. Je repère mon manteau, prête à m'enfuir dans la rue nue sous ce manteau. J'ai la main sur le verrou quand il m'attrape par l'épaule et me traîne dans l'appartement, me frappe à nouveau. Je suis épuisée, je n'ai plus d'idées, et surtout j'ai peur de mourir sous les coups. Je le supplie alors d'au moins utiliser un préservatif, ce qu'il ne fera pas. Je m'absente de cette pièce, il ne reste que mon enveloppe, je ne suis plus là, je n'existe plus, je ne sens pas son souffle, je n'entend pas sa voix, il ne m'arrive rien, je suis en mille morceaux. Et pourtant chaque petit bout de moi crie que je dois m'en sortir vivante. Il se retire. Je lui dis très calmement de me rendre mes lunettes et mes vêtements qu'il a éparpillés un peu partout. Il dit qu'il va me raccompagner. Je ne refuse pas de peur que cela le mette en colère et qu'il me frappe à nouveau. Nous sortons dans la rue, c'est le petit matin, cette nuit a été longue, je croise mon reflet dans une vitrine, mon visage est tuméfié et ensanglanté. Les gens partent travailler. Personne ne s'arrête, comme personne n'a entendu mes cris cette nuit. J'arrive en bas de chez moi, fais semblant de monter le temps que mon agresseur parte, et je redescends pour appeler une amie depuis une cabine téléphonique. Je ne parviens pas à lui expliquer les longues heures de la nuit, elle doit partir travailler. Je parcours le centre ville sous la pluie et sonne chez une amie, elle n'est pas là, une deuxième, pas là non plus. La troisième porte s'ouvre, je ne peux pas parler mais mon amie chauffe de l'eau pour le thé et me dis de me mettre sous sa couette. Je prononce le mot, elle me dit que je dois porter plainte, je refuse et nous partons à la fac. Mais je ne suis pas à ma place et mon corps me fait mal. Nous partons à l'hôpital. Le nez cassé. La mâchoire fracturée. Des ecchymoses partout. Je suis en bouillie Ca me met en colère ces fractures, ces traces, ces marques, il n'avait pas le droit de laisser des empreintes que je peux voir, que les autres peuvent voir, des empreintes qui disent que j'ai été violée. C'est ce qui me décide à porter plainte. La police. La nuit. Nous sommes trop "petites" mon amie et moi, c'est trop dur, nous avons peur. L'hôpital pour l'examen gynécologique. A nouveau la police. A nouveau l'hôpital, un autre hôpital, pour des prises de sang parce qu'il n'a pas mis de préservatif. On me dit que je vais avoir un traitement préventif pour le VIH, et on me donne aussi des cachets pour dormir. Il est arrêté le lendemain grâce à mes indications. J'ai porté plainte en me portant partie civile, j'ai pris un avocat, subi tout un tas d'examens, fais face à des gens plus ou moins compréhensifs, mais j'ai eu la chance de croiser quelques personnes plus que professionnelles, humaines. Il est allé en prison. On a reconnu que j'étais une victime. J'ai été soutenue par mes amis proches; j'ai menti à ma famille pour les protéger, eux qui vivaient déjà un drame; j'ai abandonné mes études, incapable d'affronter les autres, persuadée que j'étais trop bête; j'ai hurlé à la mort, comme un animal, j'ai voulu disparaître... Je me suis sentie brûler quand on me touchait. J'ai développé des TOCs, éteindre les lumières, me laver les mains, vérifier, tout vérifier, tout le temps, pleurant de rage parce que ça ne s'arrêtait pas et que j'y passais mes journées. J'ai voulu disparaître. J'ai voulu disparaître. Ou alors qu'on ne me regarde plus.Alors j'ai mangé. Beaucoup. En me disant que cela allait me protéger.Ma maman est morte. Notre famille a implosé. Tout est allé de travers.J'étais là sans être là, je me suis oubliée, mise en danger pour mieux vérifier que je pouvais contrôler les choses, je me suis abandonnée, plus de dentiste, plus de gynéco, des problèmes de vue et de peau, des troubles du comportement.Mais je n'étais pas morte. Alors un jour, des années après (années durant lesquelles j'avais tout de même repris mes études et obtenu mon diplôme, trouvé du travail, eu des petites histoires de coeur, des bonheurs, de nouveaux amis, repris la danse, déménagé...), je suis allée consulter un psychologue. Il était temps pour moi de parler. Ca n'était pas facile, et j'avais très peur. Peur de ne plus pouvoir m'arrêter de parler, d'être submergée par les mots de mon histoire à en devenir folle, peur que le monstre tapi au fond de moi, et que je faisais taire depuis si longtemps, ne me terrasse définitivement. C'est le contraire qui s'est passé, j'ai peu à peu déroulé le fil, le psychologue m'a aidée à comprendre, cela m'a encouragée à me fixer des objectifs: m'occuper de moi, aller chez le dentiste, chez le gynéco, consulter une nutritionniste...et puis faire connaissance avec moi-même! Retrouver la jeune femme que j'aurais dû devenir depuis longtemps. Je me suis dit bonjour! J'ai retrouvé la vue. Retrouvé mes colères, ma capacité à m'indigner, à m'engager, à dire ce que je pense. Retrouvé la fragilité, ma douceur, ma sensibilité aussi. Compris que cela n'était pas dangereux d'être soi et de se sentir vivante. La plus longue nuit de ma vie est derrière moi, mais mon identité s'est aussi construite avec cette histoire que vous venez de lire.
d'après le blog "Et si l on faisait tomber les barrières du tabou?" ( anonyme ) en décembre 2011
Remarque
Ce témoignage a été publié en 2011 sur internet. Le sentiment de honte qu'elle avait, s'est éstompé au fur et à mesure du temps, ce qui montre uné évolution de sa perception du crime. Depuis 1999, la société a évolué et internet y a joué un rôle majeur. En effet, internet est une plateforme sur laquelle l'on peut tout dire ou presque sans être censuré et même jugé. Les victimes peuvent ainsi témoingner de manière anonyme et parfois même y trouver le courage de parler et d'agir. Cependant, le fait de témoingner anonymement prouve que son sentiment de culpabilité et son inhibition sont toujours présents, même si son témoignage nous prouve qu'elle se sent moins ou non coupable. On peut également supposer que sa reconstruction a mis du temps et c'est pourquoi son témoingange est si tardif.
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